Interview « la bride sur le cou » avec Alain Gardinier

Hello Alain,

Bienvenue dans les pages fraîchement débarquées de notre revue « Chroniques des Fontaines ».

Nous allons dans cet entretien évoquer ton actu (toujours) foisonnante, mais aussi te proposer un portrait intime et chamarré qui, nous l’espérons, saura te dévoiler davantage à tes lectrices et tes lecteurs, auditrices et auditeurs ou bien te faire connaître des 977 habitants de Villeperdue, commune française on ne peut plus rock’nroll.

ADF : Alain, tu es né sur la côte basque, face aux vagues aventurières de l’océan. C’est là, il me semble, que tu as trouvé ton inspiration, ton épanouissement et croisé la route des fils du vent (et les gonzesses qui vont avec, au passage). Raconte-nous ces premières années ventées…

AG : Le surf a été le déclencheur de tout. Il m’a permis, en parallèle de sa pratique qui m’a tant amené sur tous les plans, de découvrir une culture, une langue (anglaise), de développer le goût du voyage et de la découverte. J’ai baigné dedans, habitant au-dessus de la côte des basques à Biarritz et le surf était le moteur de mon quotidien (OK, fallait quand même aller à l’école). En fait, ce n’étaient pas trop des années ventées car s’il y a du vent, c’est pour le véliplanchistes. Nous, on reste à la maison.

 ADF : Comment as-tu vécu ton exil (imposé par les études et le monde du travail, il me semble) sur les pavés de Paris, capitale défroquée étouffante à ses heures ?

AG : Il était assez difficile à mon époque de trouver un travail ‘’intéressant’’ en province, en particulier sur cette Côte basque qui ne s’éveillait que durant les deux mois d’été. J’ai décidé de partir à Paris, ambiance chambre de bonne et gros blues quand je devais passer mes week-ends là-bas sans un rond. Mais j’ai eu de la chance, car j’ai pu devenir stagiaire sur un long-métrage, puis sur un autre, puis assistant, etc. Sept ans dans l’univers du cinéma qui me passionnait alors, un petit peu de sous (de quoi survivre) et de quoi acheter des pellicules photo que je bouffais en allant shooter tous les concerts de musique auxquels j’allais (l’autre gros poste dépenses de mon tout petit budget). La musique, ma grande passion.

ADF : Ces années-là (les eightiesnineties), avec tes chroniques musicales et sportives sur CANAL+, M6 (tu as d’ailleurs chopé le premier Sept d’or de la chaîne avec ton émission culte, Culture Rock) entre autres, les films que tu as réalisés (tu as bossé côté ciné), les articles écrits (pour Le Nouvel Obs, Libé, VSD et un paquet de magazines…) tu nous auras soufflé aux oreilles ton vent aventurier, mais aussi, ouvert à ta culture rock and surf. Raconte-nous cette époque, et les retours du public sur le personnage décalé que tu as offert à ces années télé-(f)rigides.

AG : Tout s’est fait par hasard. J’adorais la photo, principalement le photo-reportage et j’ai commencé à tenter de proposer des sujets photo à des magazines. Le premier était sur les hot-rods américains (suite à un voyage là-bas) dans le magazine ‘’chrome et flammes’’, le second sur une rencontre fortuite, un franco-américain nommé Richard Sears par ailleurs biologiste marin spécialisé dans les baleines, que j’ai suivi en Nouvelle-Angleterre du côté de Cap Cod. Puis j’ai lâché le cinéma (trop prenant, trop frustrant, trop dur) pour tenter de percer dans la photo mais je n’étais pas vraiment bon. Mais un jour, un magazine de rock m’a dit qu’il me prendrait mes photos si je racontais les concerts ou je les avais prises. J’ai donc emprunté la machine à écrire de ma voisine et je me suis lancé.  Petit à petit je suis devenu journaliste spécialisé musique (non, pas rock critic !!) puis j’ai rejoint la société de productions de films Flagrant Délit. J’ai mélangé les deux des années durant en réalisant des sujets filmés pour Sygma TV qui fournissait Canal Plus (entre autres l’émission Zenith de Denisot), puis on m’a proposé de passer de l’autre côté pour l’émission ‘’Nulle Part ailleurs’’, ce que j’ai refusé mais, par de drôles de circonstances, je m’y suis quand même retrouvé. Il y aura les rubriques du Top 50, ‘’Nouba’’ et ‘’Culture rock’’ sur M6, plein de sujets autour du monde pour ‘’Megamix’’ de Martin Meissonnier… et le retour au pays dès que possible (et toutes les vacances) pour le surf. Là, vu que je voyageais beaucoup et que ce que je faisais m’amusait, la vie à Paris est devenue bien plus supportable et même sympa. En fait, pour répondre finalement à ta question, le public m’aimait bien et me le faisait sentir dans la rue. Mon truc était de faire partager mes passions musicales et avoir pas mal de média me l’a permis (ainsi que de vivre car la seule façon de gagner sa vie en étant pigiste est d’en mettre partout !) Par contre, j’étais en total décalage avec les fameux ‘’rock critics’’ à la peau blafarde et au blouson de cuir ‘’ad hoc’’ (sans oublier les lunettes noires en plein hiver !). Pas de drogues chez moi, pas d’attitudes ni de self-destruction, juste l’amour de la musique. J’avoue que quand j’arrivais bronzé d’une semaine à Biarritz vêtu de chemises à fleurs, je détonnais plutôt dans le Landerneau des rockers en pleine manœuvre !

ADF : J’ai lu sur Wikipedia (source pas forcément fiable, donc j’espère ne pas me planter), que tu étais revenu t’installer à Biarritz, sur la côte basque en 1999. Raconte-nous ce retour aux sources de ton inspiration (mais pas que).

AG : L’appel de l’océan ! Je m’étais juré , à 40 ans, de revenir chez moi , surtout pour que ma fille ait comme moi la chance de grandir là-bas, mais je pensais ne pas avoir les c…. pour le faire. J’étais alors à Eurosport ou je produisais une émission sur les sports de glisse (Yoz). Bref, personne ne m’attendait là-bas mais je suis revenu début janvier 1999 et j’ai fait le seul truc qui me semblait dans mes capacités : de la vidéo. J’ai monté une petite boîte de prod de façon totalement empirique, sans ne rien connaître à l’entreprise et à son fonctionnement (mais rien de rien !!) mais je m’en suis sorti. On a pas mal travaillé dans le milieu de la glisse (beaucoup de super voyages dans des lieux pas possible) et dans les films institutionnels dans la région avant que je ne cède Zuma prod en 2012 et que je me concentre désormais sur l’écriture de livres.

ADF : Un ou des conseils à filer aux jeunes gars qui souhaiteraient emprunter les mêmes vagues que toi (promis, il n’y a pas d’allusion foireuse, je parle de carrière, hein !) ?

AG : La passion, le partage, l’envie de prendre du bon temps. Faire passer les bonnes choses. S’intéresser à tout, être curieux avant tout. Je n’ai jamais eu assez de temps et de place pour parler de tout ce qui me faisait vibrer pour perdre du temps à m’étendre sur ce que je n’aimais pas. Après, journaliste pigiste n’est pas un long fleuve tranquille et ce n’est pas simple d’en vivre, surtout maintenant. Etre intégré à une rédaction me semblerait plus sage.

ADF : Une question sur-mesure, c’est quoi la « patte » Alain Gardinier? Décris aux plus philistins d’entre nous ton univers, ton style, tes références ?

AG : Toujours cette envie de partager, ce sur des domaines que j’aime comme l’océan, la glisse, la musique, les vieilles voitures, la géopolitique, l’espionnage (mon roman DPRK sur la Corée du nord)… Je suis un passionné qui continue d’acheter des CDS, des romans, plein de trucs.

ADF : Dans ton livre consacré à la légende Miklos Sandor Dora III, Miki Dora (paru chez Atlantica Éditions en juin 2013), tu dresses un portrait multi masques du surfeur et ne le résume pas à ce hors-la-loi insoumis qui a tant fasciné le Tout-Hollywood. Tu montres avec intelligence qu’un homme ne se résume pas à un art, une passion ou une escroquerie, voire pas du tout. Raconte-nous ce qui t’a amené à écrire sur ce personnage « peu recommandable » selon les dires.

AG : Je connaissais Miki depuis mes 15 ans car il passait beaucoup de temps sur la Côte basque. Il m’avait demandé de son vivant d’écrire sa bio mais il avait un tel caractère que c’était impossible. J’avais de cette époque du matériel (interview en cassettes, photos…) Là, dix ans après sa mort, c’était le bon timing car avant, je n’avais pas vraiment envie.

ADF : On le sait (à l’exception de deux-trois niçois mal réveillés), tu es, toi-même, un surfeur zélé. Le grand bleu étant universel, tu as pu côtoyer nombre d’artistes de la planche des seventies jusqu’à aujourd’hui, dont ce fameux « Da Cat » aka Miki Dora… Tu aurais une anecdote haute en couleur, ou qui te tient à cœur, à nous conter à propos de l’une de vos escapades ?

AG : Miki était un fou de vin, passion qu’il tenait de son père, un des plus grands spécialistes au monde. Copain avec les Rotschild, il partait dans le bordelais au volant de son petit camion Mercedes récupérer des bouteilles. Un jour à Guéthary, un type l’aborde et lui dit qu’il est aussi un amateur de vins d’exception et que son plaisir serait de boire une bouteille de grand cru avec lui. Miki a alors récupéré une bouteille vide de Mouton Rotschild et l’a remplie de piquette qu’il avait achetée 5 francs la bouteille au petit Casino juste en bas de chez lui. Le soir, en buvant ce vin de table, le type (qui a évidemment payé le prix fort à Miki) s’est extasié durant des heures. Miki était plié de rire.

ADF : Dans Ride the wild surf! (titre emprunté à juste titre au film sorti en 1964), tu prends le parti de nous narrer les péripéties de dix surfeurs aux parcours absolument hallucinants (l’histoire itinérante du clan Paskowitz, la métamorphose de Peter Drouyn, ou les errances mentales de Michael Peterson m’ont particulièrement marqué). Pourquoi avoir choisi ces dix-là ? Y’a-t’il des surfeurs que tu regrettes de n’avoir pas chroniqué comme Occy (Mark Occhilupo) un type au parcours également bien cabossé ?

AG : J’ai mis du temps à faire ma liste et Occy n’y figurait pas car je le connais bien mais je n’ai pas vraiment de sympathie pour lui et, pour écrire sur des personnages, il faut qu’ils vous attirent, que vous ayez envie de passer du temps avec eux.

ADF : Au risque de te mettre à dos les « surfmen » de ce monde (et d’au-delà les vagues), si tu devais retenir un seul nom parmi la tribu du surf (à l’exception de toi-même, bien entendu), ça serait qui ? Et pourquoi ?

AG : Gerry Lopez. La quintessence du style, de la grâce, de la gentilesse et de l’humilité.

ADF : Comme je le disais précédemment avec talent, tu es un homme à multiples chapeaux. Quand tu ne surfes pas en écrivant des chroniques musicales ou l’inverse, tu t’attaques à un roman à l’opposé de ces univers, DPRK (sorti chez Daphnis et Chloé, en 2014, puis chez Folio en 2016), qui retrace les mésaventures d’un agent de la DGSE chargé d’exfiltrer un otage français en Corée du Nord (le pauvre). À priori, tu t’attaques là à un thriller, et pourtant tu casses les codes aussi bien dans l’aspect surréaliste du roman que dans la forme. Dans ton livre, on entre dans une contrée aux secrets inexplorés et inquiétants (qu’ils soient réalistes ou pas), qui font écho à la parano bien justifiée du 1984 d’Orwell… Un mot ? Des maux ? Des commentaires ? Et pourquoi la Corée du Nord ?

AG : Pays mystérieux, dangereux, passionnant, tellement à part. Passionné d’espionnage, j’ai beaucoup lu sur ce pays qui la pratique à grande échelle et comme j’avais envie de voir si j’arrivais à écrire un roman, la Corée du Nord a été le décor et le sujet. J’ai eu des critiques exceptionnelles sur ce livre et ce dans ces magazines prestigieux, je n’en reviens toujours pas, mais à l’époque de sa sortie, l’éditeur original était trop petit pour assurer derrière.

ADF : Avec l’affaire Trump vs Corée du Nord qui défraie avec tristesse les actus de ce début d’année et plus si manque d’affinités, tu dois forcément te dire que tu as été visionnaire en racontant la Corée du Nord comme tu l’as fait dans DPRK, non ?

Un mot sur le conflit qui oppose Donald Trump (je dis « Trump » parce qu’à mon sens, il ne représente pas son pays) à la Corée du Nord ?

AG : Deux trous du cul qui s’affrontent : ça va finir dans la merde.

ADF : En France, non plus, avec les dernières présidentielles, la peur du terrorisme et de l’autre, l’heure n’est pas aux réjouissances. Tu as envie d’ajouter un mot à ce gros bordel histoire de délier les tensions qui tétanisent notre pays ?

AG : Je passe mon tour.

ADF : Après cette noire parenthèse, recentrons-nous sur du plus léger et du plus enjoué, donc toi (si si !), et dis-nous (si tu le veux bien, of course) lequel de tes univers te ressemble le plus, ou te parle plus que les autres : la zic, le surf, le ciné, le docu, la littérature, le world trip, tous (j’en oublie) ?

AG : Tous à la fois car ils forment ce que je suis. J’ai besoin de tout ça pour faire marcher la machine. Le surf, c’est super à condition d’avoir quelque chose d’autre à côté. La littérature, le rock, c’est super à condition d’avoir… etc.

ADF : Si un jour, un film devait se monter sur ta vie, tu verrais qui dans le rôle-titre ? Moi, je verrais bien  Dujardin ou John Cusack ou mieux, Clive Owen (tu as vu comme je te flatte) Et toi ?

AG : Un film sur moi ? Bien sûr ! Passionnant ! 12 spectateurs ! En fait c’est infaisable : Bourvil est mort.

ADF : Sans transition, une « pluri » question, plus basique : tu as une méthode de travail (ou devrais-je dire «de  passion ») ? Tu es du genre à prendre la plume ou le large dès six heures du matin ? Ou bien tu es libertaire et crées quand ça t’enchante ? Tu as des rituels ?

AG : Il me faut juste du temps devant moi. Je suis incapable d’écrire si je n’ai pas une plage de temps de plusieurs heures qui vont me permettre de me plonger dans l’histoire que je veux raconter. Et la nuit je dors !

ADF : La classique et indispensable question pour les lecteurs curieux: sur quoi travailles-tu ces temps-ci, Alain (tu es une source plus fiable que Google) ?

AG : Après celui sur mon ami décédé François Lartigau et qui vient de sortir (Surfing Moments chez Atlantica), je suis sur un livre racontant 40 ans de rugby chez moi à Bidart, avec plein d’anecdotes, de personnages et d’histoires.

ADF : Tu aurais un mot, une pensée « Gardinier » pour les lecteurs des Chroniques des Fontaines ?

AG : ‘’Dès que le vent soufflera je repartira’’ (Renaud Séchan, philosophe du XXe siècle)

Alain, merci d’avoir accepté de surfer sur la vague en notre compagnie.

Retrouvez en parallèle mes critiques de Ride the wild surf ! & de Miki Dora, deux ouvrages signés par le surfeur des vents, Alain Gardinier, ici, dans notre rubrique « Coups de ♡ ».

 


Arnaud Delporte-Fontaine