Entretien rock and « folks » avec Pierre Mikaïloff !

Pierre Mikaïloff, ex-guitariste des Désaxés et de Jacno, est écrivain, journaliste (Rolling Stone, Rock & Folk, Gonzaï, etc.) et conférencier. Il est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages : polars, poésie, « Le Dictionnaire des années 80 » (éditions Larousse), plusieurs biographies de référence (Alain Bashung, Téléphone, Daniel Darc, Sophie Marceau, Noir Désir…) Il a écrit pour la télé une cinquantaine d’épisodes de la série documentaire « Nous nous sommes tant aimés », diffusée sur France 3 depuis 2010. Il a également écrit pour la scène… Nulle bio ne saurait résumer son œuvre, tant l’auteur est prolixe.

Hello Pierre,

Bienvenue dans les pages de notre revue « Chroniques des Fontaines ».

1/ADF : Pierre, raconte-nous tes premières années sur la scène « officielle » de la musique comme guitariste du groupe Les Désaxés et plus tard aux côtés de Jacno, décédé en 2009 (Rest in peace !)

PM: Les Désaxés, c’était une aventure démente. Tu as vingt ans, tu rejoins un groupe qui commence à faire parler de lui, tu te retrouves propulsé sur scène puis en studio. Un groupe de rock, c’est une certaine tournure d’esprit, un look, des partis pris esthétiques. Les Désaxés avaient tout ça. Entre nos quatre personnalités, la chimie était parfaite. Comme les Sept Nains, chacun possédait une qualité qui faisait avancer l’ensemble : Hervé, c’était le compositeur détaché du monde matériel, Yanick (avec un seul N, il y tient) était l’organisateur, le plus structuré de nous tous, François, c’était l’humoriste, et pour ma part, j’étais le guitariste soliste, le gars qui fait la gueule et fait chier son monde parce qu’il se croit indispensable. Ha ! Ha ! Cette aventure m’a permis de rencontrer des gens extraordinaires, comme Patrice Fabien, notre producteur, des journalistes avec lesquels j’ai noué des relations d’amitié, Gérard Bar-David, Jean-Éric Perrin, Patrick Eudeline… Mais sur notre route, il y avait aussi des escrocs, des traitres, des menteurs. Bref, ce fut une belle école de vie. Quant à Jacno, pour moi, il représentait l’ineffable accomplissement de jouer avec un de mes héros. Dans mon panthéon personnel, c’était comme jouer avec Keith Richards ! J’ai passé des années fantastiques avec lui. C’était un être humain… surnaturel.

2/ADF : Comment es-tu passé de la scène musicale et sa vie haute en couleur aux coulisses de la presse et la « marche à l’ombre » de l’écriture ?

Pierre Mikaïloff © Céline Guillerm

PM : Au début des années 2000, je ne trouvais plus guère de couleur à la scène musicale. J’avais un peu fait le tour des plans galère, payés au lance-pierre voire pas payés du tout. Et je me suis dit : tiens, si je me remettais à l’écriture ? Lors de mes précédentes tentatives, je n’étais pas prêt. J’étais trop tendre. Je n’avais pas assez vécu, je pense. Ce qui sortait était terne, sans élan, manquait de souffle. Mais quand je me suis mis à écrire Some clichés, j’ai su que j’étais prêt et que ce bouquin finirait par être publié. C’est ce qui s’est produit.

3/ADF : Et par quel prodige es-tu parvenu à intégrer l’équipe du magazine mythique, Rock & Folk ?

Pierre Mikaïloff © Olga Nicolaeva

PM : Par le prodige du téléphone ! J’avais échangé avec Philippe Manœuvre lors d’un week-end à Perpignan, en 2006, à l’occasion d’un salon qui réunissait des écrivains rock et des dessinateurs de bédé. Je venais de sortir mon premier livre, Some clichés : une enquête sur la disparition du rock’n’roll. Rentré à Paris, le lundi ou le mardi, je ne me souviens plus, le téléphone sonne, je reconnais la voix caractéristique de Philippe Manœuvre et le bonhomme me propose d’écrire un papier pour le magazine que je lis depuis l’âge de treize ans, et il conclut par : « Welcome à bord ! » J’étais sur un petit nuage. 

4/ADF : Si tu ne devais retenir que deux de tes papiers écrits au cours de ta carrière, ça serait lesquels et pourquoi (question vache, forcément) ?

PM : Carrière, c’est un bien grand mot, ce serait plus facile de te répondre si celle-ci était terminée (j’espère que ce n’est pas le cas !) et que je regardais en arrière. Mais il y a un premier souvenir qui me revient, celui d’une belle rencontre : Richard Hell que j’avais interviewé pour Gonzaï. Pour moi, c’était approcher une légende du punk rock new-yorkais. De plus, j’avais dévoré son roman, Dans l’œil du lézard. J’ai adoré les deux entretiens qu’il m’a accordés. Le type est très impressionnant physiquement, mais très gentil au bout du compte. Et plus récemment, je pense à ce papier de six pages sur Ange, dans R&F, qui m’a permis de faire mon coming out prog et, surtout, de rencontrer Christian Décamps qui est un être humain extrêmement attachant. Donc, là, je ne parle pas d’articles dont je serais particulièrement fier quant au style, mais de rencontres qui marquent. 

Pierre Mikaïloff et Christian Décamps du groupe « Ange »

5/ADF : Un ou des conseils à filer aux jeunes gars qui souhaiteraient emprunter les mêmes voies « Gonzaï » (terme à éclairer pour les néophytes) musicales que toi ?

PM: Pour toute personne qui souhaite écrire, le seul conseil, c’est de rédiger un article et de l’envoyer à la rédaction du journal pour lequel elle souhaite travailler. Ensuite… attendre que le téléphone sonne. Gonzaï, c’est un mot-valise composé de banzaï et gonzo. Banzaï, tout le monde connaît, on a en tête l’image du japonais qui monte à l’assaut, le sabre entre les dents. Le gonzo, c’est une forme de journalisme lancée par Rolling Stone, qui consiste, pour le journaliste, à « vivre » ses enquêtes, à participer à l’action. Hunter Thompson en était le grand maître. 

6/ADF : Une question sur-mesure, c’est quoi la « gratte » et la « patte », Pierre Mikaïloff ? Décris aux plus philistins d’entre nous ton style et ce qui nourrit ta musique et ta plume ?

PM: J’aime ce qui est direct, simple, sans fioritures, voire humble, c’est pourquoi je voue un culte à Chuck Berry, aux Rolling Stones, à Lou Reed, Dylan… En matière de littérature, j’aime les auteurs qui n’oublient pas que tu leur as filé 15 balles pour qu’ils te racontent une histoire, pas pour te parler de leur nombril, traumatisme d’enfance, deuil familial, etc. On s’en tape, bordel ! Ce genre d’histoires représente pourtant 90 % (et je suis gentil) de la production française, celle qu’on encense dans les cercles germanopratins, et c’est la raison pour laquelle j’aime tant la littérature de genre : polar et s-f notamment. Et aussi pour laquelle je ne lis que des auteurs étrangers, notamment américains, mais pas seulement. 

7/ADF : Tu es (entre autres artistes) le biographe attitré d’Alain Bashung. Comment obtient-on les galons de « biographe attitré » d’un artiste ? Est-ce le musicien qui vient à toi ou bien est-ce un job diligenté par un éditeur ?

PM : Je ne suis le biographe attitré de personne, chacun est libre d’écrire sur les artistes qu’il aime. Mais avec Bashung, il s’est passé quelque chose d’assez magique. Déjà, ce livre m’a permis de rencontrer Boris Bergman qui est devenu un ami. Et Par la suite, de nouer des relations amicales avec la plupart des protagonistes de ce que j’appellerais « l’épopée Bashung », parce que c’en est une. Parmi eux : Jean Fauque, ses guitaristes Yan Péchin et Richard Mortier, Nicolas Gautier d’Universal, Mitch Olivier qui a réalisé Play blessures, Chloé Mons, et beaucoup d’autres. Suite à la publication de ce livre, Arnaud Viviant m’a proposé d’écrire avec lui un spectacle pour la scène. L’année suivante, un théâtre subventionné m’a commandé un spectacle autour de l’œuvre de Bashung. Ensuite, mon livre a reparu en poche, ce qui me plaît beaucoup car ça rend l’objet livre accessible à toutes les bourses. Puis France Culture m’a commandé un doc radiophonique sur Bashung. Donc, il s’est passé plein de belles choses. Et je prépare pour l’année prochaine un autre livre sur ce personnage aux mille visages, mais qui ne sera pas une bio. Patience… Pour répondre à la deuxième partie de ta question, ces projets naissent de conversations avec un éditeur. Le seul artiste qui m’ait demandé de coécrire sa bio avec lui, c’était Daniel Darc. Le projet ne s’est pas fait comme il aurait dû, mais c’est une autre histoire. 

8/ADF : Parle-nous un peu de l’état économique de la presse papier, avec ce lectorat qui fuit de plus en plus vers les contrées virtuelles de l’Internet. Ça se passe comment en interne(t) (pardon, pour le jeu de mots) ? Vous avez des « plans » pour attirer de nouveaux lecteurs (les plus jeunes, notamment) ?

PM : Bah, je crois que ceux que tu appelles « les plus jeunes » ne lisent plus ou quasiment plus. J’ai animé pendant trois, quatre ans des ateliers d’écriture dans des lycées et des collèges et je dois dire que, mis à part quelques brillantissimes exceptions, la situation est assez désespérée. Je ne parle pas des gamins scolarisés à Louis-Le-Grand qui ont un accès facilité à l’écrit – enfin j’ose le croire –, j’ai travaillé dans des établissements de province. Ils ne lisent plus, ils ont d’autres loisirs. C’est fini, mort. À part ça, vive la presse écrite et vive la littérature ! 

09/ADF : C’est quoi le Tøhu-Bøhu, l’émission pour laquelle tu œuvres ? Un bordel musical ? Raconte-nous ses coulisses et ce que tu proposes aux auditeurs…

PM : C’est un joyeux bordel, c’est indéniable. Mais c’est avant tout une histoire d’amitié dont Sébastien Crépinior est l’instigateur. Toute l’équipe adore se retrouver chaque mardi de 20 heures à 21 heures 30 dans le studio de VL Media pour faire cette émission de rêve, en toute liberté, sans aucune contrainte promotionnelle ni éditoriale. On a des chroniqueurs cinéma, littérature, musique… On s’amuse bien, les artistes adorent venir chez nous, donc… on va continuer. 

10/ADF : En France, entre les Gilets Jaunes qui hurlent à qui veut l’entendre les injustices sociales à même le pavé ; le déni du réchauffement climatique de la part des pouvoirs publics, l’incertitude est de mise, et c’est un euphémisme. Tu as envie d’ajouter un mot à ces sujets, histoire de délier les tensions qui tétanisent notre pays et le monde dans le cas du climat ? Une note musicale ?

PM: Les Gilets Jaunes, je n’y comprends rien, je regarde cela de très, très loin, de la fenêtre d’un train par exemple, quand je vois des ronds-points bloqués. Enfin ce mode opératoire, c’était surtout l’année dernière je crois. Par ailleurs, je ne suis pas salarié, je suis un auteur et je compte écrire jusqu’à mon dernier souffle, donc la retraite, je m’en fous. Pour ce qui est de l’autre grand sujet du moment, le climat, bien sûr que c’est important, mais c’est devenu une mode, un business, une diversion pour ne pas parler d’autres problèmes. Et le discours aux accents mussoliniens de la Jeanne d’Arc 2.0 docteure ès tautologies climatiques me laisse perplexe. Une note musicale ? « Who’ll Stop the Rain », peut-être, de Creedence Clearwater Revival.   

11/ADF : Un mot sur l’affaire Julian Assange, ce « célèbre malgré lui » lanceur d’alertes incarcéré dans une prison de haute sécurité au Royaume-Uni pour divulgation d’informations tenues secrètes par les Américains… En tant que journaliste, tu te situes comment par rapport à cette triste affaire pour la liberté de la presse et de l’expression ?

PM: Ça dépasse largement le cadre de la liberté de la presse. Assange et les autres lanceurs d’alertes nous ont montré que 1984, d’Orwell, était une aimable bluette comparé au monde dans lequel nous vivons. Le sort qui lui ait réservé est monstrueux. La libération d’Assange, voilà une vraie cause à défendre. Tu m’as demandé seulement un mot, donc je me tais.

12/ ADF : Pour conclure avec glamour et humour cette entrevue, j’ai lu que tu avais écrit la bio de Sophie Marceau (si si !) Alors, ils sont comment les seins de Sophie Marceau ?

PM : Tu avais dit avec humour… Il faut poser la question à messieurs Julien Clerc et Alain Souchon qui se sont intéressés à ce détail anatomique. Pour ma part, je préfère penser à la magnifique performance de Sophie Marceau dans Police de Pialat. 

Pierre, merci d’avoir accepté de jouer ce set musical en notre bonne compagnie.

PM : Le plaisir était pour moi cher ami.

Vous désirez en savoir plus sur Pierre Mikaïloff ?

Surfez sans tarder sur nos curiosités entoilées :

Le Tøhu-Bøhu :
https://vl-media.fr/categories/emissions/tohu-bohu/?fbclid=IwAR1FcL1QN3_BikY8UiNUkU6j2bKOMI82gEnYqcKtx6BqGqa8E_WIHtsQABQ

Rock & Folk :
https://www.rocknfolk.com/


Arnaud Delporte-Fontaine